Neige | Maxence Fermine

Neige

Conte initiatique

Auteur : Maxence Fermine

Photo de couverture : Burt Glinn

Éditeur : Points

Année d’édition : 1999

Mots-clés : Conte, Poésie, Neige, Art, Harmonie, Beauté, Parcours initiatique.

– Je suis poète. J’écris des vers. Je n’ai pas besoin de savoir autre chose pour accomplir mon art.
– Erreur. La poésie est avant tout la peinture, la chorégraphie, la musique et la calligraphie de l’âme. Un poème est un tableau, une danse, une musique et l’écriture de la beauté tout à la fois. Si tu désires devenir un maître, il te faudra posséder le don d’artiste absolu. Tes œuvres sont merveilleusement belles, dansantes, musicales, mais aussi blanches que de la neige. Il leur manque la couleur, la peinture. Tu n’es pas peintre, Yuko. C’est cela qui te fait défaut. Simplement cela. Et c’est pourquoi, si tu ne m’écoutes pas, ta poésie restera invisible aux yeux du monde.

Dans le Japon du XIXe siècle, Yuko Akita décide, contre l’avis de son père, de devenir poète. Cette voie lui permet de concilier ses deux passions : le haïku et la neige. Chaque hiver, il se rend dans la montagne au matin et revient le soir avec un nouveau poème, et ce pendant septante-sept jours. Il finit par attirer l’attention du poète officiel de la cour, qui lui conseille d’aller suivre l’enseignement de Soseki, ancien samouraï et vieux peintre aveugle. Plus que l’art des couleurs, Yuko va découvrir le secret du vieux maître, et le mystère que cache cette magnifique femme disparue dans la neige…

En vérité, le poète, le vrai poète, possède l’art du funambule. Écrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie. Écrire, c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile, ce n’est pas de s’élever du sol et de tenir en équilibre, aidé du balancier de sa plume, sur le fil du langage. Ce n’est pas non plus d’aller tout droit, en une ligne continue parfois entrecoupée de vertiges aussi furtifs que la chute d’une virgule, ou que l’obstacle d’un point. Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir un funambule du verbe.

Yuko a décidé d’être poète, et de raconter la neige. Mais ses poèmes sont désespérément blancs, c’est pourquoi le poète de la cour l’envoie suivre l’apprentissage du peintre Soseki, spécialiste des couleurs. Au cours de son voyage à travers les Alpes japonaises, Yuko découvre, dans une caverne, une jeune femme européenne, morte, préservée sous un mètre de glace. Il est frappé par sa beauté et par le mystère qui l’entoure. Chez Soseki, il apprendra, de la bouche du serviteur du maître, l’histoire de cette femme et du peintre…

Maxence Fermine nous livre avec Neige un magnifique petit conte initiatique. Il nous plonge de manière très subtile dans la culture japonaise, sans en dévoiler trop. Les descriptions restent très poétiques, et les situations sont esquissées en quelques mots, quelques regards. Le cœur du récit est la contemplation. Yuko n’a d’autre but que d’observer la neige et de tenter de rendre son essence profonde grâce à la poésie. Le court échange suivant entre le jeune homme et son père, au début de l’histoire, est révélateur de cela :

« – La poésie n’est pas un métier. C’est un passe-temps. Un poème, c’est une eau qui s’écoule. Comme cette rivière.
Yuko plongea son regard dans l’eau silencieuse et fuyante. Puis il se tourna vers son père et lui dit :
– C’est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps. »

J’ai beaucoup apprécié la réflexion autour de l’art, qui est également au centre de ce roman. La poésie est décrite comme étant la somme de tous les autres arts, à la fois peinture, calligraphie, danse, musique… Pour écrire de bons haïkus, il faut donc être un artiste absolu.

L’auteur ne met en scène que quelques personnages, et ces derniers sont peu étoffés, comme c’est souvent le cas dans un conte. Certains ne sont même pas nommés, notamment le poète de la cour ou encore la jeune fille avec qui Yuko entretient une relation pendant quelques temps. Nous suivons Yuko, dont on ne sait pas grand-chose de plus que sa vocation pour la poésie, et son désir d’absolu et de perfection. Grâce à sa rencontre avec le maître Soseki, il va découvrir d’autres facettes de son art et améliorer ses poèmes. Le seul personnage qui est décrit un peu plus en profondeur est justement Soseki, lorsque son serviteur raconte son histoire à Yuko. Le récit se concentre sur la réflexion poétique et métaphorique autour de l’art, de l’amour de la vie et de la quête d’absolu, et c’est pourquoi l’auteur ne fait qu’esquisser les caractères des personnages.

Le récit est porté par la langue très épuré et concise de Maxence Fermine. Les chapitres sont très courts (aucun ne fait plus de trois pages), tout comme les phrases. Certains passages s’apparentent d’ailleurs à des haïkus, lorsque l’auteur rapporte une situation ou une description en trois phrases courtes, à la manière d’un poème (un haïku est toujours composé de trois vers et dix-sept syllabes). L’exemple le plus frappant est la fin du récit : le dernier chapitre est constitué de trois lignes qui comptabilisent exactement dix-sept syllabes. De plus, le dernier mot du roman est « neige ». L’auteur conclut donc en reprenant les deux passions de son personnage principal, qui a enfin trouvé sa voie.

Ma conclusion : Un conte poétique et initiatique qui nous invite à la contemplation et à la quête d’absolu. Je recommande ce petit bijou de Maxence Fermine, aussi pur et éthéré que la neige qui l’a inspiré.

Note : 18/20

Lu et chroniqué dans le cadre du Summer Holidays Challenge 2016.
Défi « Australie » : Paysage désertique ~ Lire un livre de moins de 200 pages.

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